On nous parle d’habitat et de chez-soi. Exprimons-nous !
S’il est un abri où la personnalité et la poésie (l’intime le soi) s’expriment, c’est bien la cabane.
Saint Étienne est entouré de cabanes : celles des jardins ouvriers, véritable patrimoine dit "immatériel" reflètent un pan de l’histoire sociale de l’ancienne citée industrielle.
Chacun possède sa cabane et même si les jardins se renouvellent chaque saison, avec les générations, la cabane dite provisoire subsiste. Alors pourquoi immatériel puisque la trace est là ? ! Seraient-elles les oubliées de ces jardins ?
Les premiers jardins ouvriers apparaissent à la fin du XIXème pour répondre à une urgence sociale et améliorer le sort des plus mal lotis : les ouvriers de la sidérurgie, du textile…
La prise de conscience de la condition ouvrière. On la doit à l’époque à un prêtre le père Volpette. En 1895, il prend connaissance d’une initiative menée par une femme à Sedan Mme Félicité Hervieu, qui afin d’aider les familles en difficulté et constatant que l’aumône n’améliore pas les conditions de vie, avait loué un champ divisé en parcelles afin que les familles cultivent et résistent à la précarité par l’auto-approvisionnement.
Pour le père Volpette "la terre est le moyen la famille le but" "une assistance par le travail de la terre, au lieu d’humilier le pauvre, le relève à ses propres yeux".
En 1907 le congrès régional des jardins ouvriers se tient à St Etienne, car dans la cité l’œuvre des jardins est au cœur d’un véritable programme social et sanitaire (lutte contre l’alcoolisme et la tuberculose) et connaît une croissance rapide.
À cette époque l’association des jardins compte 700 jardins, en 1912 : 850 et à la mort du père Volpette en 1922 : 1500, en 1942 6000 jardins sur 130 terrains…
Après la guerre, leur nombre décroit considérablement face à la pression immobilière. En 1994 on compte 1800 jardins répartis en 41 sections sur 45ha, en 2005 1650 jardiniers cultivent 40 ha de terrain.
La direction de l’association des jardins ne devient laïque qu’en 1998.
En 2003, le Sénat adopte une loi visant à accompagner le renouveau des jardins dits "collectifs" : protection juridique, intégration des jardins d’insertion au même régime que les jardins familiaux et partagés...
Le terme ouvrier est exclu de la dénomination de ces espaces partagés… une histoire qui s’efface ?
Actuellement la ville tente de restructurer les jardins : les parcelles sont redessinées, on élimine ou l’on remplace les cabanes faîtes de matériaux de récupération par des abris plus conventionnels, on supprime les clôtures entre les jardins et l’eau est distribuée dans chaque parcelle.
On reconnaît l’intérêt social et sanitaire du jardin, mais culturellement qu’en est-il ?
Le jardin rassemble la culture terrestre des origines, la culture culturelle du savoir-vivre ensemble et la culture technique et savante de la connaissance. Pourquoi lui ôter son totem singulier : la cabane ?
La question de ce patrimoine historique bâti, même fragile se pose : est-ce qu’on le conserve ? Comment le renouvelle-t-on ?
Aussi authentique qu’archaïque, rudimentaire ou élaborée chaque cabane transporte une force fragile : celle de celui qui l’a édifiée. La cabane est la singularité de son âme, car le jardinier qui va cultiver sa terre met en œuvre son savoir-faire pour construire son abri vital et intime, une partie de sa vie. Il s’installe dans le présent.
L’utilitaire se confond souvent à l’imaginaire, la poésie au pratique… Un doux mélange de nécessité, de savoir-faire, de désir, d’urgence et de temporalité …
La construction d’une cabane nous ramène à des instincts anciens. Le jardinier constructeur ancre dans ses murs une intimité. Il agit hors des gabarits habituels qui cherchent plutôt à unifier, uniformiser, lisser. Il échappe aux pressions qui tendent à nous mettre dans des boites sans fenêtres négligeant profondément nos nécessités instinctives et premières.
Dans le cas des jardins partagés, la cabane peut devenir un refuge hors normes, offrant un espace rassurant et protecteur. Elle s’adapte à l’environnement et nous y adapte du même coup. Elle est à la fois une réponse aux besoins individuels et groupant, elle contribue à sécuriser et socialiser.
On ne peut pas à l’heure actuelle ignorer que ces cabanes sont l’habitat principal pour les favelas, les bidonvilles et la jungle de Calais. Mais elles sont aussi dans le design de l’éco-construction, les vacances dans les arbres etc ….
Avec les cabanes préfabriquées disparait l’idée que celles-ci doivent être construites avec les mains et l’imagination. Et que c’est la présence de cette humanité qui fait la valeur de la cabane et non un schéma esthétique convenu …
Je me propose donc de construire sur le site du musée de la mine une cabane inspirée des jardins ouvriers : faite à base de matériaux de récupération dans une certaine urgence, car le processus commence dès la collecte de matériaux et va jusqu’à modalités d’utilisation de cette cabane. Je souhaite faire vivre ce patrimoine, fruit des mains du jardinier et de son modeste génie pour cultiver cette partie de l’histoire… qui continue.
Festivaliers, curieux, visiteurs du Musée : La cabane et moi même serons là pour vous accueillir pendant la durée du festival. Chacun pourra y aller de sa réflexion de son souvenir, de son mot, sa phrase, son histoire, son dessin autour de son ressentit du "pouvoir de la cabane" de celle d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Nous avons tous à dire.
Je me fais ma cabane. Je construis de mes mains un tout petit tout avec des bouts de rien. C’est tout ce qui m’appartient, c’est là que je suis bien.
Je cultive mon histoire ouvrière et terrestre. Je jardine mes rêves et nos souvenirs
Autour de ma cabane, j’accueille chacun à me confier son point de vue ou son histoire.
"Je sais déjà, par expérience, que les bois nourrissent les poètes, et que les cabanes de berger abritent les philosophes". Don Quichotte - Miguel Cervantès
(*) source Musée des Civilisations Europe Méditerranée « Album Moulin : l’œuvre des jardins ouvriers » 1907 offert par le père Volpette à Monseigneur Déchelette et au Cardinal Coullié en remerciement de leur présidence du congrès régional des jardins ouvriers de St Etienne.